Génocide grec pontique

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Le Pont et sa situation historique

 

La une du New York Times informant que la population chrétienne de Trabzon a été « éradiquée »[1].

L’expression Génocide grec pontique[2],[3],[4], bien que controversée, reste celle utilisée pour définir l’histoire des Grecs pontiques pendant et après la Première Guerre mondiale. Le fait qu’il y ait eu ou non génocide fait encore débat entre la Turquie et la Grèce et n'est pas reconnu en tant que tel par l'ONU. On fait aussi allusion à la Tragédie pontique[5], l’Extermination pontique[6] et aux Atrocités commises par les Turcs dans le Pont et l’Asie Mineure[7]. Ces termes se réfèrent aux persécutions, aux massacres, aux expulsions ainsi qu’aux migrations forcées infligées par le gouvernement Jeunes-Turcs aux Grecs pontiques au début du XXe siècle[8],[9],[10].

La Grèce ainsi que la République de Chypre[11] ont officiellement reconnu le génocide et ont déclaré le 19 mai comme date commémorative (en 1994). Les États américains de la Caroline du Sud[12], du New Jersey[13], de Floride[14], du Massachusetts[15], de Pennsylvanie[16] et de l’Illinois[17] ont aussi voté des résolutions reconnaissant le génocide. Cependant, les États des États-Unis n’ayant pas de prérogatives en matière de politique extérieure, cette résolution n’a pas été prise au niveau fédéral. L’Arménie elle aussi a fait un pas vers la reconnaissance du génocide pontique[18].

Le gouvernement turc rejette le terme de génocide. Le fait d’avoir choisi le 19 mai pour la commémoration de cet événement est perçu comme une provocation, car c’est un jour de fête nationale en Turquie[19],[20].

Sommaire

Contexte

 

Article publié par le journal The Scotsman le 25 juillet 1915.

Selon la Ligue Internationale pour les Droits et la Libération des Peuples, entre 1916 et 1923, près de 350 000 Grecs originaires du Pont furent massacrés[21]. Merrill D. Peterson indique 360 000 victimes[22]. Selon G.K. Valavanis, « la perte de vies humaines parmi les Grecs pontiques, depuis la Grande Guerre jusqu’à mars 1924 peut être évaluée à 353 238 à la suite des meurtres et des pendaisons, ainsi que de la famine et des maladies[23]. » Selon Ismail Enver, un conseiller auprès de l’armée allemande, le ministre turc de la défense aurait déclaré en 1915 qu’il voulait « résoudre le problème grec…de la même façon qu’il pensait avoir résolu le problème arménien[24]. »

Les survivants se réfugièrent principalement en Russie impériale (qui devint par la suite l’Union soviétique) et dans une moindre mesure en Dobrogée roumaine[25]. Les rares Grecs pontiques restés dans la région ottomane du Pont jusqu’à la fin de la Guerre gréco-turque (1919-1922) furent expulsés vers la Grèce dans le cadre de l’échange de population entre la Grèce et la Turquie en 1922-1923.

Une des méthodes employées dans l’élimination systématique des Grecs fut la mise en place d’un Service de travail obligatoire (Amele Taburları en turc, Τάγματα Εργασίας Tagmata Ergasias en grec)[8],[9]. Parmi ceux-là, beaucoup de jeunes et de personnes en bonne santé furent réquisitionnés pour travailler pour l’administration ottomane pendant la Première Guerre mondiale, puis pour le gouvernement turc après la création de la République de Turquie[9]. Le célèbre écrivain Elias Venezis a fait une description de la situation dans son livre Le nombre 31328 (Το Νούμερο 31328). Une recherche universitaire sur ces travaux forcés réalisée par le professeur Leyla Neyzi de l’université de Sabancı, basée sur les journaux de Yaşar Paker, un juif de Turquie enrôlé de force lui aussi, n’indique pas clairement une véritable volonté de génocide[26] : en fait, les autorités turques ont « simplement » exploité les populations indésirables sans égard pour leur survie ; leur disparition n'étant pas planifiée, mais souhaitée implicitement.

Une autre variante de cette politique est celle de la marche forcée jusqu’à la mort des personnes âgées, des handicapés, des femmes et des enfants.

L’expression « massacres blancs » a été utilisée pour dénommer tous ces moyens indirects d’infliger la mort (famine, déportation, camp de concentration, etc.)[8].

Conséquences

 

La répartition passée et présente des Grecs pontiques.

La migration forcée consécutive au traité de Lausanne a mené à une élimination presque totale de la présence de la population grecque d’Anatolie, et à une élimination similaire de présence turque en Grèce. Il est impossible de déterminer combien de Grecs du Pont, de Smyrne et du reste de l’Asie mineure moururent entre 1916 et 1923, et combien de Grecs d’Anatolie furent expulsés vers la Grèce ou l’Union soviétique, d'autant que certains ont transité par la Roumanie ou la Bulgarie à bord des bateaux du SMR[25]. D’après G.W. Rendel, « ... plus de 500 000 Grecs furent déportés, mais très peu survécurent[8]. » Edward Hale Bierstadt indique que « selon un témoignage officiel, les Turcs ont massacré de sang-froid 1 500 000 Arméniens et 500 000 Grecs, femmes et enfants compris. » [27]. Selon Manus I. Mildrasky dans son livre The Killing Trap, l’estimation des Grecs d’Anatolie qui furent tués s’élève à approximativement 480 000[28]. Il faut enfin remarquer qu'un nombre non négligeable de Pontiques se sont convertis à l'islam et ont déclaré être Turcs pour survivre et garder leurs biens, sans compter les enfants de familles pontiques tuées, qui ont été adoptés et élevés par des Turcs[29].

Horton fait remarquer que « la plus intelligente des réponses donnée par les responsables de la propagande turque fut que les chrétiens massacrés étaient aussi mauvais que leurs exécuteurs, que c’était du “50-50.” » Sur ce, il indique que « si les Grecs, après les massacres qui ont eu lieu à Smyrne et dans le Pont, avaient massacré tous les Turcs de Grèce, alors là, il y aurait véritablement eu un 50-50 — presque. » En tant que témoin, il salue les Grecs pour leur « attitude […] envers les milliers de Turcs habitant en Grèce, alors qu'en Anatolie les massacres continuaient allègrement… » ce qui, selon lui, est « un des plus beaux chapitres de l’histoire du pays[30]. »

Reconnaissance

Grèce et Chypre

C’est depuis 1994 que le Parlement hellénique emploie officiellement le mot génocide pour décrire ces événements et décide que la commémoration se ferait le 19 mai. Cette décision a été prise à l’initiative de Michalis Charalambidis, ancien membre du PASOK (il est reconnu par certains comme étant « l’homme à l’origine de la reconnaissance du génocide des Grecs du Pont[31] »). En 1998, la Ligue Internationale pour les Droits et la Libération des Peuples avait déposé une requête au Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme pour cette même reconnaissance[21],[32].

Turquie

La Turquie maintient que les événements ayant eu lieu à cette période ne peuvent être considérés comme étant un génocide. Ankara a déclaré que « le soi-disant "génocide" de la minorité grecque par les Turcs n’a aucune base historique ; il s'agit de tragédies de guerre liées à l'invasion russe et aux projets de dépeçage de l'Empire Ottoman ». Le 19 mai est une fête nationale en Turquie, en souvenir du jour où Mustafa Kemal Paşa a déclaré vouloir mener sa guerre d’indépendance à Samsun. Le ministre des Affaires étrangères a déclaré qu’il « protestait contre cette résolution ». « Non seulement le Parlement de la Grèce, qui devrait surtout faire ses excuses à la Turquie à la suite des massacres et des destructions perpétrées par les Grecs en Anatolie, soutient la traditionnelle politique de déformation de l’histoire de notre pays, mais il démontre que la mentalité expansionniste de la Grèce est toujours présente[33]. » La commémoration du génocide le 19 mai est perçue en Turquie comme une provocation de la part des hommes politiques grecs. En 2006, à la suite de l’inauguration de deux monuments commémoratifs à Thessalonique, Aziz Kocaoğlu, le maire social-démocrate d’İzmir, a annulé la signature d’un accord prévu de jumelage entre İzmir et Thessalonique[34].

Colin Tatz, quant à lui, affirme que la Turquie dénie ces génocides afin de réaliser un rêve national :

La Turquie, continuant son combat vieux de 95 ans pour devenir le berceau de la démocratie du Proche-Orient, fait tout ce qui est en son pouvoir pour dénier le génocide des Arméniens, des Assyriens et des Pontiques[2].

International

George E. Pataki, gouverneur de l’État de New York a instauré le Pontian Greek Genocide Remembrance Day le 19 mai 2002[35].

L’Arménie parle d’un « génocide des Grecs » dans son premier rapport pour la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe[18].

En Australie, le problème a été soulevé le 4 mai 2006 par la sénatrice Jenny Mikakos[Où ?][36],[37].

En juin 2006, Stephen Pound, membre de la chambre des communes britannique, a fait un lien entre le génocide arménien et celui des Grecs pontiques[38].

Le 11 mars 2010, le Parlement de Suède a officiellement reconnu «le génocide de 1915 contre les Arméniens, les Assyriens, Syriens et Chaldéens et les Grecs pontiques»[39].

Organisations non gouvernementales

L’Association internationale de recherche sur les génocides a reconnu le 16 mai 2007 ce génocide, au même titre que le génocide arménien et que le génocide assyrien[40].

En Allemagne, des organisations telles que Verein der Völkermordgegner e.V[41] (i.e « Union contre le Génocide ») ou Mit einer Stimme sprechen[42] (i.e « Parler d’une seule voix ») ont pour but de faire reconnaître officiellement les génocides des minorités chrétiennes, que ce soit celui des Arméniens, des Pontiques, ou des Assyriens perpétrés lors du régime de l’Empire ottoman.

Les raisons d’une reconnaissance limitée

L’ONU, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe n'ont jamais évoqué le problème. D'après Constantin Fotiadès, professeur d’histoire de la Grèce moderne à l’université de Macédoine Occidentale, les raisons qui font que la reconnaissance du génocide est peu répandue sont les suivantes :

  • le génocide Pontique a été occulté à cause du génocide arménien qui l'a précédé ;
  • le traité de Lausanne en 1923 ne fait aucune allusion à ces événements et a ainsi scellé le destin de la purification ethnique d'Asie mineure ;
  • le traité gréco-turc signé en juin 1930 a obligé la Grèce à faire des concessions afin de préserver le sort des minorités grecques encore présentes en Turquie, notamment à Istanbul et dans l'île d'Imbros ;
  • la Seconde Guerre mondiale, la Guerre civile, ainsi que les tourmentes politiques qui ont suivi ont obligé la Grèce à se focaliser sur sa politique interne de survie socio-économique plutôt que de s'occuper de la reconnaissance du génocide.

Notes et références

  1. Les autres informations sur cet événement rapportées par le New York Times peuvent être trouvées ici [archive].
  2. a et b (en) Colin Tatz, With Intent to Destroy: Reflections on Genocide [archive], Verso, Essex, 2003 (ISBN 1859845509).
  3. (en) Samuel Totten et Steven L. Jacobs, Pioneers of Genocide Studies (Clt) [archive], Transaction Publishers, New Brunswick, 2002 (ISBN 0765801515).
  4. (en) R. J. Rummel, Statistics of Democide [archive], 2006.
  5. (en) Black Book: The Tragedy of Pontus, 1914-1922 [archive]
  6. (en) Kostas Photiades, Kostas, The Annihilation of the Greeks in Pontos by the Turks [archive], Université de Tübingen, Allemagne, 1987.
  7. E.G. Baltazzi, Les atrocités turques en Asie Mineure et dans le Pont [archive], Athènes, 1922.
  8. a, b, c et d G.W. Rendel, Mémoire Du Bureau des Affaires Étrangères sur les Massacres et les Persécutions commises par les Turcs sur les Minorités depuis l’Armistice, 20 mars 1922, (a) Paragraphe 7, (b) Paragraphe 35, (c) Paragraphe 24, (d) Paragraphe 1, (e) Paragraphe 2.
  9. a, b et c (en) Taner Akcam, From Empire to Republic, Turkish Nationalism and the Armenian Genocide, 4 septembre 2004, Zed Books, pages (a) 240, (b) 145.
  10. (en) Mark Levene, Creating a Modern "Zone of Genocide": The Impact of Nation- and State-Formation on Eastern Anatolia, 1878–1923 [archive], Université de Warwick, © United States Holocaust Memorial Museum 1998.
  11. Cyprus Press Office, New York City
  12. (en) Reconnaissance du Génocide par la Caroline du Sud [archive]
  13. (en) Reconnaissance du Génocide par le New Jersey [archive]
  14. (en) Reconnaissance du Génocide par la Floride [archive] : HR 9161 – le génocide des Pontiques 1914-1922 [archive]
  15. (en) Reconnaissance du génocide par le Massachusetts [archive]
  16. (en) Reconnaissance du Génocide par la Pennsylvanie [archive]
  17. (en) Reconnaissance du Génocide par l’Illinois [archive]
  18. a et b (en) Conseil de l’Europe [archive] [PDF], Charte Européenne pour les Langues Régionales ou Minoritaires, The First Report of the Republic of Armenia According to Paragraph 1 of Article 15 of European Charter for Regional or Minority Languages, Strasbourg, 3 septembre 2003, p. 39.
  19. (en) Erdoğan fait pression sur Karamanlis à propos de la commémoration du Génocide Pontique [archive]
  20. (en) Turkish Weekly [archive]
  21. a et b (en) document des Nations Unies [archive], rechercher « Pontian Genocide » si le lien ne fonctionne pas.
  22. (en) Merrill D. Peterson, Starving Armenians: America and the Armenian Genocide, 1915-1930 and After
  23. (en) G.K. Valavanis, Contemporary General History of Pontos, 1925, 1re édition
  24. (en) Ferguson, Niall. The War of the World: Twentieth-Century Conflict and the Descent of the West. New York: Penguin Press, 2006 p. 180 (ISBN 1-5942-0100-5).
  25. a et b (en) Neal Ascherson, Black Sea, page 185
  26. (en) Strong as Steel, Fragile as a Rose: A Turkish Jewish Witness to the Twentieth Century [archive] : l’article de Leyla Neyzi basé sur le journal de Yaşar Paker's – Automne 2005
  27. (en) Bierstadt, Edward Hale. The great betrayal; a survey of the near East problem. New York: R. M. McBride & company, 1924
  28. The Killing Trap, p 342 et 377.
  29. Sur les Turcs d'origine pontique, voir le film de Yeşim Ustaoğlu : En attendant les nuages (2005) avec Ismail Baysan, Ruşan Kaliskur, Ridvan Yağçi. Scénario : dans les années 1970, une Turque d'origine pontique, adoptée enfant par une famille turque, retrouve ses racines à la suite de la rencontre fortuite d'un Pontique émigré en visite, désireux de revoir sa terre natale. Elle découvre qu'elle a un frère émigré à Salonique et court l'y retrouver, alors qu'elle a oublié le grec. Tout en nuances, le film dépasse les clichés nationalistes et lève un coin de voile sur un passé violemment nié par les autorités turques (le film n'a pas été distribué dans les cinémas turcs et les médias se sont déchaînés contre l'auteur, accusé de trahison comme avant lui Ömer Asan qui avait levé le même « lièvre »).
  30. (en) The Blight of Asia [archive], par George Horton, Bobbs-Merrill Company, Indianapolis, 1926.
  31. Portail Web des Pontiques Helléniques [archive]
  32. Lettre de la Ligue [archive] à l’ONU.
  33. Bureau du Premier Ministre, Direction générale de la presse et de l’information : La Turquie s’indigne de la résolution de la Grèce sur le génocide [archive]
  34. (tr) İzmir ve Selanik niye kardeş olmadı? [archive] (Pourquoi İzmir et Thessalonique n’ont pu se jumeler?).
  35. Proclamation de Pataki [archive]
  36. ***Speech of Victorian Member of Parliament regarding Armenian, Assyrian and Pontian Genocide ...*** *PIC* [archive]
  37. Le parlement de Victoria soulève le problème du génocide des Grecs [archive]
  38. Archives du Parlement du Royaume-Uni [archive]
  39. Romandie News : Suède - le Parlement reconnaît le génocide arménien de 1915 [archive]
  40. (en) Genocide scholars association officially recognizes Assyrian, Greek Genocides [archive]
  41. Verein der Völkermordgegner e.V [archive]
  42. Mit einer Stimme sprechen [archive]

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